Vous n’y avez sans doute pas échappé, c’était l’information récurrente cette semaine: la polémique autour du projet de nouvel étiquetage nutritionnel. Une affaire qui a débuté depuis plusieurs mois déjà, pas toujours facile à suivre… A l’occasion de Ma Semaine sur le Net, je fais un point complet sur ce dossier aux évolutions surprenantes!
Le nouvel étiquetage nutritionnel, qu’est-ce que c’est?
Tout le monde a plus ou moins entendu parler du PNNS (le Programme National Nutrition Santé), qui vise à améliorer notre alimentation, notre hygiène de vie, et ainsi notre santé. C’est à lui que l’on doit les fameux « Manger, Bouger », « 5 fruits et légumes par jour », et autre « Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé ».
Afin de lui donner un nouvel élan, un rapport de son président le Pr Hercberg, a été remis à la Ministre de la Santé, Marisol Touraine, le 28 janvier dernier (rapport en intégralité ici). Ce rapport recommandait la mise en place de 15 mesures concernant la prévention nutritionnelle*, et notamment un nouvel étiquetage plus clair sur la face avant des emballages des aliments, sous forme d’un logo de couleur traduisant une échelle de qualité nutritionnelle, selon les critères du PNNS.
En gros, de nombreux critères sont examinés pour chaque produit (valeur calorique, mais aussi répartition graisse/protéine/sucre, apports en minéraux et vitamines, présence d’additifs alimentaires, apport en sel, etc..) pour donner une note globale au produit, qu’on indique sur l’emballage sous forme d’un rond de couleur avec une lettre de A à G. Cet indice peut également être appliqué aux recettes.
Au quotidien, pour manger équilibré, une étude [1] a montré que les 2/3 environ de notre alimentation (en poids) doivent être composés de produits A ou B. Difficile de faire plus simple!
* on a très peu parlé des autres mesures du rapport, or certaines étaient très intéressantes (interdiction de retoucher les photos dans les magazines, utilisation de la réforme des rythmes scolaires pour proposer aux enfants de l’activité physique et une éducation nutritionnelle, …). Je vous invite à les découvrir dans un court article.
Pourquoi cette proposition constitue un problème?
Pour le consommateur, ce système de logos semble plutôt une bonne initiative, puisqu’il expose de manière claire, visible, et compréhensible par tous, la qualité nutritionnelle des produits alimentaires. Si toutes ces informations sont déjà présentes à l’heure actuelle sur les emballages, qui prend le temps de toutes les analyser à l’heure de faire ses courses? Et quand bien même on en a le temps, encore faut-il bien comprendre toutes les informations mises à disposition! Le système de logos pourrait donc a priori faciliter la vie du consommateur.
Mais les industriels de l’agro-alimentaire, réunis dans le collectif ANIA (Association Nationale de l’Industrie Agroalimentaire), ne l’entendent pas de cette oreille. En effet, pour fabriquer des produits toujours moins chers, il faut utiliser des matières premières de moins bonne qualité, et donc… la valeur nutritionnelle du produit diminue. Avec la mise en place des logos, la qualité nutritionnelle d’un produit sera immédiatement visible, et pourra même différer d’une marque à une autre pour un même produit. Ce concept est très bien expliqué dans la vidéo mise en ligne par la CLCV. Cela obligerait donc les industriels à améliorer leur produit pour améliorer leur « note » et éviter une chute de leurs ventes.
Chronologie des événements: bienvenue à Dallas!
28 Janvier: remise du rapport du Pr Hercberg à Marisol Touraine, Ministre de la Santé.
25 Février: lettre d’une association de consommateurs, la CLCV, à Mme Touraine, qui prépare la prochaine loi de santé publique, pour soutenir la mise en place de ce nouveau système d’étiquetage.
27 Février: lancement d’un sondage en ligne par la CLCV, pour avoir l’avis des consommateurs sur ce nouvel étiquetage.
05 Mars: un mail interne de l’ANIA (industriels agroalimentaires), intercepté par la CLCV (association de consommateurs), incite ses membres à participer « massivement » au sondage afin de faire pencher la balance en défaveur du nouvel étiquetage.
L’Ania, ouvertement opposée à ce projet de nouvel étiquetage, reconnaît l’envoi du mail et estime que la notation de couleurs « présente un jugement de valeur sur les produits alimentaires, ce que l’Union européenne interdit ». « Manger uniquement des produits “verts” ne garantit pas une alimentation équilibrée », ajoute-t-on à l’Ania. Ce n’est pas exactement ce que disait l’étude de l’INRA [1]…
12 Mars: confirmation de l’intérêt de la population pour ce nouvel étiquetage, dans une étude parue dans Plos-One (revue scientifique reconnue) et portant sur près de 30 000 adultes [2], à partir des données de Nutri-Net Santé. Cette étude a évalué la compréhension et l’acceptabilité de 5 types de logos présentant une information nutritionnelle: une coche verte, le logo du PNNS, un code tricolore, un dégradé de couleur. Les résultats montrent que le système plébiscité est celui de feux tricolores (simple à 3 couleurs ou multiples avec un dégradé de couleurs), notamment par les populations à plus haut risque de problème nutritionnel (populations défavorisées ou souffrant de pathologies nutritionnelles).
15 Avril: retournement de situation suite à la rencontre entre l’ANIA et le président de la République. Ce dernier affirme clairement son opposition à de nouvelles taxes comportementales, qu’il juge « socialement injustes », signant ainsi la mort du rapport Hercberg. Visiblement, entre santé du citoyen et santé économique, le choix est fait. Le compte-rendu de cette réunion par l’ANIA est disponible ici.
16 Avril: publication des résultats de l’enquête en ligne lancée par la CLCV le 27 février. A l’inverse de l’avis politique de la veille, 84% des français ayant répondu à l’enquête sont favorables à la mise en place du nouveau système d’étiquetage nutritionnel, et 73% souhaitent que le logo soit apposé sur la face avant de l’emballage.
13 Mai: lancement d’une pétition pour la mise en place de ce nouvel étiquetage, accompagné d’une lettre ouverte à Manuel Valls, Premier Ministre. Parmi les premiers signataires de la pétition, on trouve notamment la Société française de santé publique (SFSP), la Société française de pédiatrie (SFP), la Société française de nutrition (SFN)… La liste est encore longue, elle traduit sans équivoque le bénéfice santé attendu de cette nouvelle mesure.
14 Mai: une interview du Pr Hercberg qui reprend simplement les grandes lignes de cette mesure et son intérêt, pour ceux qui auraient perdu le fil entre ces multiples rebondissements.
Je ne manquerai pas de mettre à jour ce billet en fonction des dernières avancées sur le dossier. J’espère pourvoir mettre très vite un edit indiquant que ce nouvel étiquetage sera bientôt opérationnel, ce serait quand même bien plus simple au quotidien! Non?
EDIT: lors de la présentation des orientations de la loi de santé, le 19 juin dernier, la ministre a indiqué « Je suis en faveur d’un outil permettant de rendre compréhensible une information, aujourd’hui trop complexe, sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires industriels. De nombreuses marques m’ont fait part de leur intérêt pour une telle démarche. Il nous faut faire aboutir la réflexion sur ce que pourrait être cet outil. »
Et vous, qu’en pensez-vous? Faites-vous attention aux étiquettes quand vous faites les courses? N’hésitez pas à laisser votre avis et votre expérience en commentaires pour faire progresser le débat!
[1]: Maillot M., Drewnowski A., Vieux F., Darmon N. Quantifying the contribution of foods with unfavourable nutrient profiles to nutritionally adequate diets. Br J Nutr, 2011, 105:1133-1137. [2]: Méjean C., Macouillard P., Péneau S., Lassale C., Hercberg S., CastetbonK. Association of perception of front-of-pack labels with dietary, lifestyle and health characteristics. PLOS ONE, http://dx.plos.org/10.1371/journal.pone.0090971
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